La voix aux jeunes ! Les Dialogues en humanité – qui ont presque 20 ans – s’ouvrent ce 2 juillet à Lyon dans le Parc de la tête d’or, avec une priorité : écouter la manière de vivre, d’agir, de chercher du sens, de se rebeller, de s’engager …de la génération qui monte. Celle qui a pris de plein fouet le diktat du confinement et qui éprouve tous les porte-à-faux d’une société qui fait fausse route. « Pas d’avenir sur la trajectoire où nous sommes », rappellent à l’envi les rapports du GIEC, jusqu’à parler de « retombées cataclysmiques pour l’humanité ».
Fondateur des Dialogues, Patrick Viveret partagera son expérience et ses clés pour rendre féconde la radicalité, en référence à « La colère et la joie » qu’il vient de publier. Je lui emboîterai le pas dans l’Agora intitulée « L’économie peut-elle sauver le vivant ?» véritable écho au Tribunal pour les générations futures que Tek4life a organisé en septembre 2019 sous le titre « Changer de comptabilité pour sauver le vivant ?». Presque deux ans plus tard, l’adhésion à de nouvelles boussoles économiques calées sur les limites planétaires s’accroît dans tous les milieux. Et l’Alliance ComptaRegeneration créée par TEK4life continue d’accueillir des expériences exemplaires.
Aligner les trajectoires aux limites planétaires
Nous recevrons ainsi le 6 juillet Marie Ekeland, qui a fondé un fonds qu’elle a appelé « 2050 » pour « nourrir et faire grandir les biens communs ». « Investir dans un avenir fertile », ainsi résume-t-elle son ambition dans le podcast Sismique #66 disponible ici (merci Julien Devaureix !). De même Jacques Rosemont, responsable du développement durable à la Banque des territoires, vient nous présenter son projet de Fonds de retournement, pour financer la « reconversion d’entreprises insoutenables ». « Ce n’est pas en vendant des »actifs échoués » que l’on transforme le système », expose-t-il. Il nous faut assumer nos dettes, traiter les fardeaux ou « communs négatifs » qui expriment tout ce qui reflue et déborde du système. En bref, ces externalités qui nous intoxiquent.
Ce fut le sens des premiers mouvements écoféministes, mobilisés sur les terres des catastrophes (Three Mile Island, Seveso, Bhopal…) comme pour signifier que « piller la terre c’est souvent aussi piller les corps des femmes », comme l’expliquait samedi dernier la sociologue Jules Falquet, invitée à témoigner au sein du Campus de la Transition (situé à Forges, en Seine-et-Marne) des liens entre extractivisme, colonisation et pillage. Les nombreux chercheurs mobilisés par Cécile Renouard, professeur à l’ESSEC et fondatrice du Campus, contribuent à former étudiants comme professionnels selon l’inspiration du Manuel de la Grande Transition. Y sont décrites six portes (Oikos, Ethos, Nomos, Logos, Praxis, Dynamis) qui ouvrent à de nouvelles perceptions et capacités. Un peu comme un système de réactualisation pour « Apprendre à voir ». Cela évoque la démarche d’Estelle Zhong Mengual, historienne de l’art, qui raconte comment les femmes du XIXe, empêchées d’entrer dans les Académies, ont pu décrire librement non pas la nature mais leurs relations au vivant (Apprendre à voir, le point de vue du vivant, présenté dans La Suite dans les idées, de Sylvain Bourmeau).
Ces chemins de traverse pourraient bien être les plus féconds pour répondre aux défis de transition. C’est la position qu’assume la Fondation Terre Solidaire qui m’a invitée à participer au jury de thèses associant enjeux écologiques, de justice et d’action. Ont été primées les thèses d’Emmanuelle Bonneau (sur les biorégions), Pierre Wokuri (projets coopératifs d’énergies renouvelables) et Corentin Hecquet (retour d’expérience sur les semences paysannes). Trois parcours qui témoignent que le monde académique est bien loin d’encourager de telles approches qui lient concepts et pratiques, techniques et société.
Design comptable écologique
Pourtant la « culture du vivant » mobilise de plus en plus. Tek4life va l’enseigner aux étudiants de CY Ecole de design qui ouvre en septembre prochain à St Germain-en-Laye. Directeur de l’Ecole, Dominique Sciamma oriente les cursus vers des projets « pour le vivant ». Sensible à un design de l’interaction, de la décision, de l’agencement métabolique, il tient à porter avec Tek4life, une formation professionnelle sur « Design et pilotage comptable écologique et solidaire ». Il témoigne de la visée qui l’anime : « Au travers de ce partenariat avec Tek4life notre école réaffirme sa volonté d’œuvrer pour une société humaine incluse dans un écosystème qui n’est plus considéré comme un décor, mais comme un projet à protéger et à vivre. Il y a urgence à mieux comprendre et mesurer nos impacts. C’est une nouvelle comptabilité autant qu’une nouvelle économie du soin, qu’il s’agit d’enseigner et de mettre en place. Maintenant ! »
Et pour nourrir cette nouvelle disposition, je me permets de vous recommander – pour l’été ! – la lecture du livre de Nathanaël Wallenhorst intitulé Mutation. On y est guidé parmi les courants de notre époque, entre manifestes écomodernistes, accelérationnistes, animalistes ou pour l’Anthropocène, pour l’écologie intégrale ou pour les communs… un parcours qui dégage progressivement une préférence pour le manifeste convivialiste centré sur la coexistence, l’attention aux limites, la valeur de la conflictualité et de la relation. « La mutation humaine sera marquée par un mouvement du politique jusqu’au choix de l’amour du monde », nous dit Nathanaël Wallenhorst, en référence à Hannah Arendt. Son optimisme structurant aide à sortir de la réactivité ambiante et nous affranchit vraiment des vieilles lunes de l’émancipation. Comme le répétait Bruno Latour lors de l’inauguration de la Chaire Laudato Si aux Bernardins la semaine dernière, « nous n’avons plus besoin d’ajouter des choses au monde : la matérialité est en train de changer de sens, d’être dés-inventée ».
Le constat n’est guère un simple jeu intellectuel : il rejaillit dans la notre « civilisation industrielle » et ses conventions. En effet le terme de « matérialité » constitue la pomme de discorde entre économistes anglo-saxons qui la conçoivent « simple » quand les Européens la veulent « holistique » ! L’enjeu n’est pas minuscule puisqu’il s’agit d’en finir – ou pas – avec l’idée d’externalité.