Des formes et des temps indigestes
Pouvons-nous éviter de porter les circulations de matières et d’objets au bord de la rupture ? Vous avez sans doute en mémoire la publicité de WWF montrant un pélican déformé par l’ingestion d’une bouteille plastique, coincée dans son gosier. « D’ici 2050, 9 oiseaux marins sur 10 auront avalé du plastique », pouvait-on lire sur l’affiche. S’il y a de tels objets visibles qui peuvent rester en travers de la gorge, bien d’autres substances, procédés ou manières d’agir embolisent nos milieux de vie, voire nos phénomènes vitaux. Il peut s’agir tantôt d’un problème de forme, de taille ou parfois même d’échelle temporelle.
Cet exemple alerte sur l’irréversible, l’irrémédiable… l’insoutenable. L’état de catastrophe en Guadeloupe avec le chlordécone utilisé pendant douze ans comme produit antiparasitaire sur les bananeraies est de même nature. La persistance de ce pesticide dans les sols est estimée entre un à sept siècles ! Plus grave encore pour les générations futures, le nucléaire et ses déchets restent impossibles à neutraliser. « Le futur n’est plus un espace vide à remplir avec des rêves ou des projets, il est déjà occupé, colonisé par des masses de déchets à plus ou moins longue vie », souligne la philosophe Bernadette Bensaude-Vincent dans son dernier livre Temps-Paysage, pour une écologie des crises. Elle interroge les durées faramineuses des objets nucléaires, la rémanence des plastiques, la fiction d’une économie circulaire : « Qui va administrer ces objets dans quelques siècles ? » Son attention cristallise sur la valeur des objets, la consistance des expériences qu’ils permettent. Elle invite à composer avec l’existant, à saisir la polychronie entre les vivants, à développer l’« affordance » qui cherche dans le milieu ses potentialités.
Compatibles avec le vivant
Au final, il s’agit de faire émerger de nouvelles architectures de collaboration et de filière, de nouvelles raisons d’être, d’accompagner des reconversions industrielles. Dans cette bifurcation industrielle vers des pratiques frugales, adaptées (pertinentes) et résilientes, beaucoup s’interrogent sur la valeur ajoutée d’une économie contributive. Alors que Bertrand Badré, ex-directeur de la Banque mondiale, nous explique que le profit ne peut pas être une fin en soi, il reste à faire reconnaitre la « valeur de la contribution » aux yeux des investisseurs. C’est la question assumée par Nadia Ben-Salem-Nicolas, responsable de la relation investisseurs et de la communication financière pour Danone dans son interview publiée dans la lettre du Vernimmen de décembre. Le sujet est aussi au centre de l’article d’Ivar Ekeland, mathématicien, spécialiste d’économie et de finance La finance à l’heure des limites planétaires qui introduit Quelle finance pour une économie durable ? (Numéro d’avril 2021, n°102, Responsabilité et environnement des Annales des Mines) où l’on trouve les contributions notamment de Gaël Giraud, Guillaume Sainteny, Frédérique Dejean, Laurent Piermont et Christian de Perthuis.
Le vent tourne et pour ceux qui n’en sont pas convaincus, il faut écouter Thomas Lagoarde-Segot, professeur d’économie et finance internationale à Kedge, qui propose rien de moins qu’une nouvelle « théorie financière écologique » ! Ce dernier constate que la confrontation au réel bio-géophysique de la théorie économique fait « voler en éclats l’hypothèse d’efficience des marchés qui fixe le système de prix ». Son approche ouvre la voie à de nouvelles politiques monétaires, prudentielles ou territoriales et mobilise la jeune génération avide de nouveaux cadres normatifs.
Guérir le système économique grâce au mythe de la pandémie
Ces reconfigurations opèrent à la faveur du suspens de la pandémie qui perdure. Elles confirment les intuitions vibrantes d’Alessandro Baricco qui livre en trente-trois fragments des bribes de Ce que nous cherchons. « La figure mythique de la Pandémie porte entre autres dans son ventre cette révélation, énoncée avec une clarté destinée à n’épargner personne. Celle-ci nous dit que c’était une folie d’avancer à de tels rythmes, de gaspiller tant d’attention et de regards, de perdre toute intimité avec soi-même, de s’échanger des corps, de façon névrotique sans s’arrêter pour contempler le sien, de voir beaucoup jusqu’à atteindre une certaine cécité, de savoir beaucoup jusqu’à ne plus rien comprendre. Dans le ralenti auquel elle a contraint le monde entier, la Pandémie a extrait du film de nos vies des photogrammes qu’on ne pouvait pas voir : souvent, ils contenaient le visage de l’assassin ou le vol de l’ange. Et dans cette immobilité imposée, elle a ouvert grand la porte à des quatrièmes dimensions qu’on avait abandonnées. »
Ces quatrièmes dimensions ont pris de la valeur au cœur de nos expériences quotidiennes. Elles concernent de près ou de loin les équilibres vivants qui seront au cœur de la COP 15 de la Convention de la Diversité biologique, reportée du 11 et le 24 octobre 2021 en Chine. Une réunion qui se déroulera sous pression du fait des alertes réitérées mais restées sans prises opérationelles.
Dans son article Inventer une géopolitique de l’effort pour la biodiversité, Aleksandar Rankovic, coordinateur de la gouvernance de la biodiversité à l’IDDRI, invite à reconnaître combien nos activités de production et d’échange sont redevables du monde vivant. Dès lors il s’agit d’expliciter les « chaînes de responsabilité » qui sont engagées dans les procédés agricoles, industriels ou économiques. Dans un monde partagé, chaque acteur responsable se doit de contribuer et expliciter comment il fait sa part, quelle mission il se donne, à quelle œuvre civilisationnelle il participe.
Dans cette perspective, Tek4life a souhaité rejoindre la Communauté des Entreprises à mission afin de parfaire son cap : soutenir la transformation des modèles d’affaires des organisations à l’écoute de l’intention authentique des dirigeants et leurs équipes. Ce n’est pas seulement affaire de chiffres, d’indicateurs mais véritablement une maïeutique pour se recentrer et déployer dans l’entreprise une trajectoire juste et profitable à tous.