Il aura fallu simplement quinze gènes pour détourner le cours de l’histoire mondiale. Quinze, c’est en effet le nombre de gènes que renferme le virus Covid-19. Soit 2 000 fois moins que notre lot héréditaire humain ! Et pourtant la minuscule entité virale « couronnée » a réussi à pirater la santé des hommes, leurs capacités d’interagir, leur économie. Elle induit une déconstruction générale. Une sorte de « reset ». Mais comment allons-nous redémarrer ? Et avec la même « machine », ou faut-il en changer ?
Confinés dans nos foyers devenus « bases de survie », nous voici en suspens. Estomaqués. Qui eût cru il y a seulement quinze jours qu’une telle bascule pouvait s’imposer à nous ? Et puis il y a ceux qui affrontent l’épidémie, les malades, les soignants, les morts… le tsunami infectieux est brutal. Non anticipé véritablement car nous n’avons pas encore réalisé que la Chine est à notre porte, que la globalisation confond les espaces, prend de vitesse les apprentissages immunitaires et les barrières que façonne avec le temps la vaccination naturelle.
Le fantasme d’un monde « à disposition sans frais » se fissure de toutes parts
Le boomerang est sévère. La violence d’une économie de marché offerte au néolibéralisme, qui ne voit dans les territoires, les matières, les espèces vivantes, les services… que des ressources à exploiter, a dynamité la protection des organismes en relation. Avec d’autres scientifiques, l’écologue de l’IRD Rodolphe Gozlan et la doctorante Soushieta Jagadesh attestent que le dérèglement des équilibres vivants augmente notre vulnérabilité sanitaire en augmentant le risque d’émergence de nouveaux pathogènes. Les zoonoses, issues de mises en contact nouvelles avec des espèces sauvages, représentent 70 % des infections émergentes. Déjà au XIXe siècle le choléra indien a envahi l’Europe. Mais cette fois, comme pour la grippe espagnole, l’épidémie est planétaire… « Avec 200 000 vols par jour et jusqu’à 20 000 avions en vol simultanément, ne cherchez pas trop longtemps le responsable de la propagation ultra-rapide de cette pandémie », ajoute Nicolas Meilhan, conseiller à France Stratégies et membre des « éconoclastes » (tweet du 17 mars).
Par la menace sanitaire, nous réalisons concrètement aujourd’hui le revers de la médaille d’un monde ultra-connecté. Boomerang des « coûts cachés » de la délocalisation généralisée : il y a un prix à payer à faire produire nos biens à l’autre bout de la planète. Le placage de l’impératif économique sur une planète vivante est insoutenable. Les chaînes de production planétaires nous fragilisent. Un siècle après l’invention par Arthur Cécil Pigou du concept d’«externalité » nous ne pouvons que nous rendre à l’évidence : il n’y a pas d’extérieur au système économique. Il nous faut même engager le « réencastrement » de l’économie dans le cadre sociétal, comme l’a préconisé Karl Polyani. Selon Jean-Paul Karsenty, associé de TEK4life, « le choc écologique et sanitaire va modifier la tension entre économie et écologie en « revalorisant » ce à quoi l’on tient, vous, moi, les autres, et le monde ! Dans ces nouvelles représentations, la notion de prix sera alors réinterrogée, comme un instrument sans foi ni loi, toujours calculant mais… qui reprendra du sens, voire de multiples sens. La question du « prix juste » et du « juste prix » qui revient régulièrement dans l’actualité illustre cette dynamique. »
Et si, dans nos vies cloîtrées nous choisissions de préparer la sortie ?
Pouvons-nous espérer que ce temps de réclusion forcée soit propice à réaliser l’état de vulnérabilité généralisée dans lequel nous plonge la mondialisation ? Celle-ci n’est en effet que courts-circuits à tous les étages. Délocalisation au mieux offrant salarial, renchérissement des transports et leurs empreintes écologiques, mise en danger de nos biens vitaux que sont l’agriculture et la santé et… confrontation de tous et sans préavis aux pires dangers microbiens. Trop c’est trop. Les risques deviennent exorbitants… Et si, dans nos vies cloîtrées nous choisissions de préparer la sortie ?
« Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. » Vous avez reconnu ici les propos du président Macron au soir du 12 mars dernier, rappelant son discours de septembre 2017 à la Sorbonne, scandé par « les six clés de notre souveraineté européenne ». Et de poursuivre : « Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. […] Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. »
Qu’à cela ne tienne Monsieur le président ! Car pourquoi continuerions-nous à donner le change ? Décrétons la résistance climatique à la suite de Bruno Latour, Gaël Giraud, Agnès Sinaï, Yann Artus-Bertrand et Cécile Renouard… en nous associant à la dynamique de décroissance énergétique et de réduction de nos empreintes. 1700 « résistants » s’engagent ainsi à adopter de nouveaux modes de vie et de travail.
Intensifions nos coalitions transformatives
Faisons de ce suspens une mobilisation plus intense, plus claire, plus massive. C’est dans cet esprit que notre réseau TEK4life renforce ses activités en inventant des formes nouvelles d’interaction. Mardi 24 mars, se tiendra la première session de travail de l’Alliance ComptaRegeneration2020 sur le thème « Entreprises, nouvelles valeurs et informations extra-financières ». Le chantier de la transition comptable auquel s’attelle cette coalition est immense. En effet, les radars des entreprises n’ont jamais fait apparaître dans aucun bilan comptable les effets environnementaux (dégradations, pollutions) associés à leurs activités. Cette absence de retour tient aux conventions comptables. Celles-ci sont arbitraires et semblent inadéquates tant elles maintiennent le monde économique en manque d’informations sur ses impacts. Il est urgent de revoir collectivement les conventions qui servent à rendre compte des activités des organisations et les métriques pour caractériser les coûts de maintien des écosystèmes.
L’Alliance ACR2020 est structurée en sept collèges et rassemble aujourd’hui une quinzaine d’entreprises, acteurs publics et associations. Parmi eux, Veolia, Citeo, In Vivo, Danone, Bouygues, La Poste, La Maif, Le Crédit Coopératif, Grant Thornton, CERFrance, Finance Watch, le Mouves, le Commissariat général au développement durable du MTES, le Conseil général de la Gironde. L’ACR2020 produira un livre blanc fin 2020 et le présentera lors d’un Forum BioRESP début 2021.
« On n’annule pas le printemps ! », nous raconte très joyeusement le chroniqueur québécois Stéphane Laporte. Chez nous non plus, on n’annule pas les « Germinations », ce 2e acte du Festival vivant. L’événement se tiendra les 2 et 3 juillet, avec nos réseaux partenaires : Entrepreneurs d’avenir, le Club des directeurs du développement durable, OREE, le mouvement de l’agriculture du vivant, le CEEBIOS (Centre d’études et d’expertises en biomimétisme), Strate École de design, La Bascule, Open Lande, et le parrainage du ministère de l’agriculture et de l’alimentation et du ministère de la transition écologique et solidaire.
Les Germinations seront l’occasion de tester les reconversions écologiques multiples dans nos manières de vivre, de consommer, de produire, d’échanger, de compter… Ce virage va exiger coopération et solidarité pour soutenir ceux qui seront les plus en risque. Retenez la date, et rejoignez cette dynamique de transformation alliant artistes, designers, industriels, chercheurs, étudiants, associatifs… Tous mobilisés pour mettre en œuvre la résilience d’une économie devenue enfin conséquente.