La pandémie confronte le monde économique déjà malade à des défis vertigineux. Alors que les entreprises se mettent « en mode survie », certaines annoncent déjà des catastrophes. Les compagnies aériennes par exemple ont fait savoir, par l’Association internationale du transport aérien, qu’il leur faudrait 200 milliards de dollars pour se relever de la crise virale. Est-ce vraiment raisonnable d’imaginer repartir comme avant quand on est un des plus gros émetteurs de CO2 ?, interroge Eric Vidalenc, économiste à l’Ademe, sur Tweeter. « Faut-il remettre une pièce dans la machine fossile ou considérer certains actifs échoués, définitivement échoués, dans un monde de neutralité carbone, et remettre cette pièce ailleurs ? » Dans un article du Point, le géographe François Gemenne souligne que « l’État va devenir un planificateur économique et investir des centaines de milliards d’euros. Il pourrait saisir l’occasion pour aller vers une économie décarbonée. Est-il utile de sauver toutes les compagnies aériennes, notamment low cost ? »
En clair, face à des entreprises exsangues, il va falloir faire des choix, en sortie de crise. Soit vers un plan de relance. Soit vers des reconversions pour entrer au moins dans les cadres climatiques. Au ministère de la transition écologique et solidaire, Martin Bortzmeyer souhaite que ce sujet soit débattu au-delà de l’espace des administrations et lobbies, car « le jour d’après nous concerne tous ».
La pandémie, en stoppant net des pans entiers de l’activité productive, va interroger de manière accrue les capacités d’adaptation à la transition des entreprises. Le sujet n’est pas nouveau. Quantité de patrons, déjà en 2019, ont exprimé dans des cénacles confidentiels leurs craintes, leurs appréhensions. « Ce sont des patrons effondrés », raconte le sociologue Diego Landivar, enseignant-chercheur à l’ESC Clermont et membre d’Origens Media Lab. Ils pressentent la perte de valeur de leurs actifs, la méfiance des consommateurs, la péremption de leurs usines… « Le premier temps est de rester dans l’abandon des projets et d’inventer ensuite avec eux une trajectoire de réaffectation des énergies dans un état d’esprit tout autre, puisqu’il s’agit de se situer en Anthropocène. Cela revient à remettre en question les concepts d’innovation, de leadership, de marché, de management qui renvoient à une idée de pilotage du monde. »
Diego Landivar a signé avec une trentaine de collègues une tribune dans Le Monde pour pousser les grandes écoles à former à la « redirection écologique ». Ce thème sera le point d’ancrage de l’événement Germinations de TEK4life les 2 et 3 juillet prochains. Il concerne quantité de secteurs comme les pétroliers qui peuvent reconvertir leurs raffineries, les chimistes producteurs de pesticides qui développent des produits de biocontrôle… Il concerne surtout les investisseurs aptes à soutenir des filières nouvelles, à explorer des marchés nouveaux comme ceux des plastiques compostables. Les pouvoirs publics joueront un rôle déterminant pour créer les conditions et les incitations à des projets éco(bio)compatibles.
Les cadres réglementaires poussent cette mutation. La Loi Pacte de mai 2019 oblige les entreprises à déclarer leurs impacts environnementaux et sociaux ; le Green deal européen et sa taxonomie verte vont catégoriser les entreprises selon leurs empreintes sur la biosphère. Il faut gagner du temps pour « passer de la Responsabilité sociale des entreprises (RSE) à une Responsabilité morale des entreprises (RME) », a déclaré en janvier 2020 Fabrice Bonnifet, président du Club des directeurs développement durable (C3D) aux membres de ce collectif. Anticiper les cadres réglementaires et pressions médiatiques et tracer les chemins pour rendre les entreprises contributives… « Compter ce qui compte en imaginant une prospérité différente, une prospérité sans croissance. »