Comment le mythe de l’externalité finit par asphyxier
Lucide, la jeune génération est notre plus précieux ferment transformatif. Elle connaît les fardeaux qui pèsent sur ses épaules, ceux qu’Alexandre Monnin décrit sous le nom de « communs négatifs ». « A l’heure de l’Anthropocène, nous explique-t-il, les communs sont et seront constitués de terres polluées, de rivières épuisées, de sols desséchés et d’infrastructures en décomposition : des « communs négatifs » en somme ». Le philosophe directeur scientifique d’Origens Media Lab (ESC Clermont Business School) montre admirablement, à partir d’une pauvre banlieue de Saint Louis (dans l’Illinois), dénommée Centreville, comment le mythe de l’externalité finit par asphyxier toute une population. Car ce « territoire de cauchemar » – qui est tout proche du siège social de Monsanto – ne parvient plus à évacuer ses déjections et cumule toutes les maladies : sols qui s’effondrent, inondations récurrentes, moisissures et odeurs tenaces, contaminations… Centreville est ainsi d’une importance capitale pour comprendre et incarner la menace qui pèse sur nos territoires à l’heure de l’Anthropocène. Cette époque marque, selon Bruno Latour, la fin de la notion d’« environnement », soit l’instance censée absorber nos externalités (négatives), désormais incapable de jouer ce rôle puisqu’il n’y a plus à proprement parler d’extériorité ou de grand dehors.
Le confinement c’est notre condition d’humains à la surface terrestre
En finir avec la mesure de l’insignifiant : faire valoir les interdépendances
Cinquante-et-un ans plus tard, la dette est incommensurable car nous avons des boussoles absurdes, insensibles à la destruction de nos milieux de vie. En premier lieu, le PIB. « Le problème essentiel du produit intérieur brut (PIB) et de sa croissance n’est pas ce qu’ils mesurent, mais ce qu’ils ignorent, estime l’économiste Eloi Laurent (voir Sortir de la croissance pour entrer dans l’espérance (de vie), Alternatives économiques, 21 janvier 2021). La croissance comptabilise fidèlement une part de plus en plus insignifiante des activités humaines : les biens et les services mais pas leur répartition, les transactions marchandes mais pas les liens sociaux, les valeurs monétaires mais pas les volumes naturels. » Et de conclure : « Il y a encore peu, les démographes se demandaient si la progression de l’espérance de vie rencontrerait jamais une limite. Il apparaît aujourd’hui que cette limite est celle de la Biosphère. Un nouvel horizon se dessine pour les politiques publiques à l’âge des chocs écologiques : protéger l’espérance de vie des dégâts de la croissance. »