L’élargissement de la comptabilité, un progrès sociétal

Les comptabilités extra-financière face aux opppositions

Face au grand défi de notre siècle, la transformation des sociétés humaines vers leur soutenabilité, la comptabilité est un des leviers majeurs par la fiabilisation des données et le niveau de confiance qu’elle apporte. Elle donne aux parties prenantes un langage commun, transparent, et largement consensuel. Seule la comptabilité pourra venir comparer et mettre à égalité les performances financières, sociales et environnementales. 

Pourtant, ce concept reste encore sans définition claire. Il existe plusieurs terminologies, plusieurs méthodes de comptabilité et des approches différentes pour répondre au mieux aux problématiques opérationnelles. On pourrait alors la croire vulnérable face aux oppositions, pourtant, on n’arrête pas “le progrès” !

Une terminologie multiple

Comptabilité triple capital, intégrée, multi capitaux, extra-financière, écologique, environnementale, élargie, … pas simple de s’y retrouver face à cette multitude de noms ! 

Certaines de ces comptabilités n’ayant pas vraiment défini de bilans et restant au niveau du compte de résultat, le terme le plus généraliste est à nos yeux : comptabilité socio environnementale

Pourtant, le terme de comptabilité multi capitaux représente la cible, puisque c’est dans le capital que s’exprime la redevabilité. Une redevabilité qui s’élargit progressivement à toutes les parties prenantes.

Les différents capitaux

On parle souvent de triple capital : financier, environnemental et social. L’IIRC (International Integrated Reporting Council), un organisme de normalisation qui fut créé en 2010 par un groupe d’entreprises, d’investisseurs et d’organisations, définit 6 capitaux : 

  • Le capital financier, les actifs et les passifs financiers, les liquidités, les actifs immobilisés, les dettes ; 
  • Le capital humain, les compétences, l’expérience des employés, …
  • Le capital social, la relation entre l’entreprise et ses parties prenantes (les clients, les fournisseurs, le gouvernement, les communautés, …)
  • Le capital naturel, les ressources naturelles dont l’entreprise dépend, l’eau, l’air, les sols, …
  • Le capital infrastructurel, qui comprend les infrastructures physiques, les routes, les bâtiments, les réseaux de communication, …
  • Le capital immatériel, qui intègre des actifs intangibles de l’entreprise comme la marque, la propriété intellectuelle, la réputation, …

Ces capitaux sont interdépendants et la création de valeur à long terme nécessite de les gérer d’une manière durable.

3 grandes catégories de comptabilité extra-financière

Les différentes méthodes de comptabilités socio environnementales, CARE, LIFTS, EP&L, CEMA, Comptabilité Universelle, etc. utilisent des angles d’approches différentes. Le parti-pris pourra être un niveau d’ambition élevé, un côté révolutionnaire ou une simplicité de mise en œuvre, … 

Comme le montre le rapport APESA Record, il existe 3 catégories construites sur des approches différentes : la comptabilité intégrée, multi-critères ou d’empreinte.

  • Les comptabilités intégrées : ce sont les plus difficiles à mettre en œuvre au sein d’une organisation car elles impliquent une refonte des principes comptables. Ce sont des méthodes encore très balbutiantes, qui en sont encore au stade du prototypage et de la recherche. Pourtant, il est presque certain que ce sont ces méthodes qui permettront de poursuivre et d’asseoir les évolutions de reporting qu’on voit déjà arriver avec la CSRD.
  • Les modèles multicritères : elles gardent la séparation entre le financier et le non-financier ou l’extra-financier. Ce sont des modèles qui ne refondent pas complètement la comptabilité générale, mais qui vont rajouter des coûts dans la comptabilité analytique.
  • Les comptabilités d’empreintes : il s’agit de mesurer combien est-ce que l’environnement peut porter du poids de l’activité, c’est ce que propose le bilan carbone. 

Les comptabilités multi capitaux face aux oppositions

Un des grands reproches fait par les opposants des comptabilités environnementales et sociales, c’est l’impossibilité de chiffrer : la nature n’a pas de prix ! La biodiversité, c’est trop compliqué pour qu’on la chiffre ! Combien vaut le capital humain des employés d’une société ? 

Pourtant, l’histoire nous apprend que la comptabilité s’est régulièrement élargie. Pour les forêts par exemple, il y eut un inventaire national, en 1827, qui permit d’en donner une vision comptable en volume, et il en fut ainsi pour les minéraux ou les eaux souterraines. 

Un autre reproche consiste à ne prendre en compte que les actifs tangibles. Sonnants et trébuchants ! Mais cela fait très longtemps, plus d’un siècle déjà, que l’on se pose la question de la valorisation des actifs intangibles, comme les brevets et les marques. Les éléments immatériels constituent aujourd’hui la principale source de création de valeur des entreprises. 

Il existe maintenant des méthodes pour valoriser les brevets, par exemple, ou la marque, en fonction de sa force, de sa notoriété, de sa durée de vie, … Des personnes se sont opposées à cette valorisation de marque, et pourtant aujourd’hui on sait le faire. La valorisation d’éléments intangibles trouve ses solutions.

Une comptabilité qui progresse

La réflexion sur un pilotage élargi des entreprises présuppose l’intégration par la comptabilité des apports de nombreuses sciences très différentes : les sciences de l’ingénieur, les écologues, les biologistes, qui connaissent la pression anthropique, c’est-à -dire les impacts environnementaux des activités humaines. 

Les nouvelles comptabilités convoquent aussi l’anthropologie, la sociologie, la géographie, la philosophie, qui permettent de travailler sur l’incorporation des critères sociaux dans le pilotage de l’entreprise. Les sciences économiques se connectent ainsi aux sciences humaines pour donner un meilleur reflet des acteurs économiques dans leur environnement.  

Face aux limites non négociables du vivant et de la planète, la préoccupation centrale devient de concevoir et d’organiser durablement nos activités, d’en mesurer les impacts et d’en rendre compte.

L’atterrissage d’une économie hors sol ne passerait-il pas justement par ce travail de valorisation monétaire des impacts ?